Pilule pour diminuer la libido des personnes handicapées : toujours dans la grande noirceur

Nous sommes un groupe de personnes handicapées et d’alliéEs et nous souhaitons dénoncer le traitement réservé aux personnes handicapées lors de l’entrevue sur les assistants sexuels pour les personnes handicapées et les personnes âgées dans le cadre de l’émission Après tout c’est vendredi du 11 octobre 2013. C’est avec une profonde indignation que nous avons visionné l’entrevue donnée par madame Janette Bertrand au sujet de la sexualité des personnes handicapées.

Nous nous interrogeons vivement sur le choix de cette dame pour discuter de ce sujet. Nous ne voulons aucunement remettre en question la contribution de Madame Bertrand à la lutte féministe, mais en quoi est-elle qualifiée pour discuter d’une problématique relative aux personnes handicapées? Il est de notre avis que son regard paternaliste et infantilisant tout au long du reportage ne fait que transmettre son malaise à l’idée qu’une personne handicapée puisse vouloir partager des moments d’intimité avec autrui. Nous ne sommes plus à l’époque où les personnes handicapées étaient reléguées aux institutions ou aux fonds de placards.

Dès le départ, Madame Bertrand affirme son désaccord avec le fait de payer une personne pour des services sexuels. Soit. Elle ajoute par contre que si son fils ou sa fille était handicapé(e), « ça serait une autre paire de manches », qu’elle essayerait de trouver un bénévole parce que oui, « ils ont droit au toucher. » Madame Bertrand se questionne à savoir si l’orgasme est un besoin fondamental, avançant que le besoin fondamental serait plutôt le toucher. Comment Madame Bertrand peut-elle se prononcer sur ce que les personnes veulent? Pourquoi est-il si difficile d’envisager que les personnes handicapées sont maîtres de leur corps et de leurs désirs? Ce que nous entendons ici est que, selon Madame Bertrand, les personnes handicapées peuvent se faire caresser, mais que le besoin de connaître la sexualité dans ses multiples déclinaisons n’est pas obligatoire. Les personnes handicapées sont-elles condamnées à avoir une sexualité propre, voire « chaste »? Nous sommes plutôt d’avis qu’une personne, handicapée ou non, doit pouvoir décider par elle-même si elle veut avoir un orgasme, se faire caresser ou n’importe quelles variantes de la sexualité tant que cela se fait avec le consentement de tous.

En référence au film Gabrielle, Madame Bertrand affirme que « c’est pas la même chose parce que ce sont des handicapés mentaux. » Ah bon? Et les personnes avec un handicap physique, c’est différent? Madame Bertrand ajoute qu’elle est « d’accord pour que deux handicapés mentaux fassent l’amour ». Ah bon? Cette affirmation de Madame Bertrand laisse entendre qu’elle serait moins en accord qu’une personne handicapée souhaite avoir des relations sexuelles avec une personne non handicapée. Ces opinions coupées au couteau nous mettent énormément mal à l’aise. Sur quoi Madame Bertrand se base-t-elle pour porter ces jugements?

Comme solutions au « problème » du désir sexuel des personnes handicapées, Madame Bertrand suggère un service de rencontres où les personnes handicapées qui le désirent pourraient rencontrer des gens comme eux et faire des échanges. Comme c’est joli. Encore une fois, les personnes handicapées sont contraintes à vivre des échanges entre « handicapés » seulement.

Plus grave encore, lorsque Madame Dussault cite une étude australienne qui mentionne que la sexualité est un besoin crucial pour la santé, qu’elle fait partie de la globalité de la personne, Madame Bertrand répond : « On trouve des pilules pour tout, tout, tout, tout, tout de nos jours. Trouvons une pilule qui baisse un peu la libido. » Nous croyons que cette affirmation est la plus sidérante de toutes, car elle rappelle le pouvoir que les personnes non handicapées ont eu sur les personnes handicapées au fil des années. Madame Bertrand ne s’est-elle pas battue pour déconstruire la croyance que les femmes n’avaient pas droit au plaisir sexuel? Pourquoi alors vient-elle affirmer que le plaisir sexuel chez les personnes handicapées devrait être médicalement limité?

Les personnes handicapées ont encore du chemin à faire pour que leurs droits soient reconnus. Nous sommes d’avis que dans cette entrevue, Madame Bertrand ne fait que renforcer les préjugés de la société envers les personnes handicapées, ce qui a pour effet de creuser encore plus le fossé entre les personnes handicapées et les personnes non handicapées. Si la population québécoise se surprend à l’idée que les personnes handicapées soient des êtres sexuels, il est temps d’ouvrir les yeux, car nous vous le confirmons, les personnes handicapées ont des désirs.

Nous espérons que Madame Bertrand comprendra que ses propos ont été offensants envers les personnes handicapées. Nous souhaitons également souligner qu’il est primordial que les personnes handicapées prennent part aux discussions qui les concernent, y compris dans les médias. En 2013, il est grand temps que nous participions à l’écriture de notre propre histoire.

Marie Veilleux

 

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